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Extrait de C'est pas du vent du 22/3/19
Anne-Cécile Bras :
Bonjour, Hubert Reeves.Hubert Reeves :
Bonjour ! Bonjour madame.Anne-Cécile Bras :
Vous êtes le président d’honneur de l’association « Humanité et biodiversité » que vous avez dirigée dès 2001. Cela fait donc 17 ans, 17 ans que, en parallèle de vos travaux d’astrophysicien, vous défendez la biodiversité. Une passion qui date d’une quarantaine d’années et qui est née, dites-vous, assis sur un banc, face à un étang dans votre maison en Bourgogne, dans le centre de la France.Hubert Reeves :
Oui, j’ai eu beaucoup l’occasion sur ce fameux banc justement, de réfléchir à toute cette question, de m’interroger « Qu’est-ce qui se passe ? Où allons-nous ? Quel est notre avenir ? » et tout ça. C’est des préoccupations : j’ai des enfants et des petits-enfants et je suis inquiet de savoir quel sera l’état de cette planète dans 50 ans. Moi, dans 50 ans, je ne serai plus, sans doute. Mais eux – il y en a qui ont trois, quatre ans – ils ont toutes les chances mais qu’est-ce qu’ils vont trouver comme planète ? On ne peut pas répondre à cette question parce que l’avenir est inconnu. Mais il faut faire en sorte… il faut essayer de faire tout ce qu’on peut pour qu’elle reste habitable et agréable.Anne-Cécile Bras :
Parce que vous dites que, même au niveau de votre petit étang, vous avez vu des changements.Hubert Reeves :
Ah oui, tout à fait ! C’est une maison de campagne que nous avons en Bourgogne depuis une quarantaine d’années et effectivement, je me souviens quand on est arrivés, il y avait beaucoup d’hirondelles qui tournaient le soir autour de cet étang. Maintenant, quand je vois une hirondelle, j’ai de la chance. Nous avions… nous avons un arbre à papillons. C’est un arbre que les papillons adorent. Eh bien, quand nous sommes arrivés, il y avait 10 variétés de papillons qui tournaient autour par les belles journées d’été quand il faisait chaud. Maintenant, on en a un ou deux. On le voit devant nous : on voyait beaucoup de libellules, on voyait beaucoup d’éléments. On a vu sous nos yeux et tout le monde, je pense, a pu constater, s’il a un certain âge, que c’est à l’échelle de notre vie que les transformations se font et que les transformations se font généralement - pas toujours mais généralement – dans un mauvais sens. Plutôt une détérioration qu’une amélioration. […]Anne-Cécile Bras :
Alors dans votre documentaire, il y a plusieurs spécialistes qui démontrent à quel point les liens entre les êtres vivants sont intimes. Je vous propose d’en avoir un aperçu avec quelqu’un que vous aimez beaucoup, je crois, qui s’appelle le botaniste Francis Hallé. Il nous parle du langage des arbres.Hubert Reeves :
Très bien.Francis Hallé :
Un acacia attaqué par une gazelle, en 20 secondes, il devient toxique. Ça, c’est déjà quelque chose d’étonnant cette transformation biochimique fulgurante. Mais le plus étonnant, c’est que l’acacia attaqué, devenu toxique, prévient les autres acacias qui deviennent toxiques à leur tour. Il les prévient à l’aide d’un message gazeux qui descend le vent et donc voilà, c’est une constatation qui a lancé une problématique maintenant très riche et qui continue à être très nouvelle : la communication entre les arbres. On s’en est aperçu dans les années 90 avec cet exemple de l’acacia et des gazelles d’Afrique du sud. Mais maintenant, on s’aperçoit que les arbres communiquent entre eux. Il n’y a pas besoin d’aller jusqu’en Afrique du sud ! C’est pareil chez nous. Alors ils communiquent par voie aérienne, comme dans le cas de l’acacia. Ils peuvent aussi communiquer par voie souterraine, par des soudures de racines ou par ces extraordinaires champignons qui les relient les uns aux autres et qui entrent en symbiose avec leurs racines. Les arbres, vous voyez, ont des quantités de manières de communiquer les uns avec les autres.Anne-Cécile Bras :
Le botaniste Francis Hallé dans C’est pas du vent sur RFI. Hubert Reeves, donc les arbres communiquent donc entre eux par l’air et sous terre.Hubert Reeves :
Oui, ça c’est une chose dont on prend conscience : c’est [qu'on] a toujours considéré, dans le passé, que les humains, c’était ce qu’il y avait de mieux et que les animaux, on doit les asservir, les mettre à notre service. On s’aperçoit aujourd’hui que cette attitude dominatrice de l’humanité est une attitude qui amène à la catastrophe. Pourquoi ? [Parce qu'on] voit aujourd’hui comment nous sommes en train, avec nos œuvres, nos activités de détériorer tout ce bénéfice que la vie nous apporte. Par exemple les vers de terre, les abeilles, c’est des choses… on se rend compte que ça nous est essentiel. Si on élimine les vers de terre, on stérilise les sols. Si on stérilise les sols, on n’a plus de nourriture. Donc, nous sommes dépendants de toute une partie de la nature qu’on a détériorée allègrement pour le profit à court terme, justement. Et cette prise de conscience, ce manifeste, ce e texte de Francis Hallé, c’est tout à fait dans l’esprit de la période : se rendre compte que nous ne sommes pas les maîtres et les meilleurs de la terre. Nous sommes une espèce parmi tant d’autres, une espèce qui a besoin de s’intégrer dans un écosystème… que si elle détruit son écosystème, elle disparaitra elle-même. C’est ça, la leçon qui amène toutes ces nouvelles connaissances scientifiques, ces merveilles que sont, par exemple, les arbres qui communiquent entre eux, les oiseaux migrateurs qui retrouvent leur grange. Les hirondelles qui retrouvent leur grange après un voyage de 10 000 kilomètres, c’est des choses qui nous dépassent. On s’aperçoit que nous sommes une espèce très intelligente et c’est précisément un de nos problèmes.