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Émission 7 milliards de voisin, « Des contes à écouter » du 14 avril 2020
[Passage 1]
Yumi :
Je n'irai pas chez grand-mère. Je déteste la campagne, il y a des araignées partout, des corbeaux qui croassent bêtement, des moustiques et des grenouilles qui vous empêchent de dormir.La mère :
Ne dis pas de bêtises, lui répondit sa mère. Et puis ça te changera des jeux vidéo !La conteuse :
C'est ainsi que Yumi quitta Tokyo pour les environs de Kofu. Chez grand-mère, on se déchausse dans l'entrée, il y a des tatamis partout et des cloisons mobiles séparent les pièces. L'ameublement est traditionnel : ni fauteuil, ni chaise, mais de jolis coussins et des tables basses. La nuit, on déplie les matelas légers, rangés pour la journée dans des placards muraux, et on pose sa tête sur un oreiller empli de graines.Yumi :
Grand-mère, tu pourrais acheter une autre télé, s'exclama Yumi après le dîner. L'image est toute brouillée, c'est ennuyeux.La grand-mère :
Si tu allais jouer chez la petite voisine ? Mais ne rentre pas trop tard ou gare au bétobéto ![Passage 2]
Yumi :
Le bétobéto ?La conteuse :
Grand-mère posa sur la table la pastèque qu'elle venait de couper et hocha la tête.La grand-mère :
C'était l'époque où j'étais encore écolière. Un soir d'été, je m'étais attardée avec des amis et je me hâtais de rentrer quand la lanière de ma sandale en bois, ma geta, se rompit net. Aussitôt, mon cœur se mit à battre.Yumi :
Tu exagères. Moi aussi, il m'arrive de casser un lacet de mes baskets.Le grand-père :
Hum, intervient grand-père en se versant un verre de vin de Koshu, une lanière de geta cassée, ça porte malheur.La grand-mère :
J'ai pris mes sandales à la main puis repris mon chemin. La nuit tombait vite, j'étais inquiète. J'étais presque arrivée au petit pont qui enjambe les rizières, lorsque j'entendis derrière moi un claquement de geta. Je me retournai, le bruit cessa aussitôt. J'étais seule à l'entrée du pont, je m'y engageai, quand, clouc clouc, le bruit recommença. Pour un pas que je faisais, il en répondait trois. Plus je pressais l'allure, et plus les geta s'affolaient. Bientôt, je sentis sur ma nuque un souffle brûlant…La conteuse :
Grand-mère s'interrompit pour s'éventer.Yumi :
Et puis grand-mère ?La grand-mère :
Une sueur glacée m'inondait, j'avais trop peur pour regarder. N'y tenant plus, je me mis à courir et dans mon dos, les geta couraient aussi. Au moment où je franchissais enfin le seuil de la maison, j'entendis un cri de rage. Tout en pleurs, je me précipitais dans les bras de mon père. Celui-ci m'expliqua que c'était sûrement le bétobéto. La nuit, il poursuit les enfants encore dehors. Nul ne connaît sa forme. Qui sait ce qui serait arrivé si je ne lui avais pas échappé.Yumi :
Grand-mère, il n’y a plus à s’en faire ! Maintenant, plus personne ne porte de geta, se moqua Yumi, tout en mordant à pleines dents dans sa tranche de pastèque.
La conteuse :
Grand-mère tapota son chignon et ajouta :La grand-mère :
Si le bétobéto a des chaussures de sport, il doit courir beaucoup plus vite qu'avant.[Passage 3]
La conteuse :
Dans la nuit, Yumi se réveilla. Est ce qu'on ne rôdait pas autour de la maison ? Elle tendit l'oreille, crut distinguer, assourdi, un claquement de geta. De geta… quelle idiotie ! Curieuse, elle quitta son lit et se glissa dehors. Le ciel était semé d'étoiles. Un moustique zézaya à ses oreilles.Yumi :
Ah sale bête. Elle s'écarta de la porte, s'esclaffa : le bétobéto de grand-mère, ça devait être le moustique à la jambe de bois !La conteuse :
Elle fit quelques pas, soupira. Que la nuit était longue ! À Tokyo, jamais elle ne se couchait si tôt. Elle se décidait à rentrer quand un mouvement dans le jardin la fit sursauter. À cet instant, la lune se voila et deux gros yeux flamboyèrent dans les ténèbres. Comme saisie, elle se reculait. Ils flottèrent vers elle dans un martèlement de pas. La stupeur céda à la place à la panique, lorsqu’un souffle chaud atteignit son visage.Yumi :
Le bétobéto !La conteuse :
Elle oublia qu'elle était une petite citadine de Tokyo, responsable de deux Tamagotchis et d'un poisson synthétique, qu'elle n'avait peur de rien sauf des examens, et elle se rua vers la maison. Hors d’haleine, elle referma la porte derrière elle, et toute frissonnante, se glissa dans son lit où elle resta éveillée une partie de la nuit. Au matin, grand-mère l'appela.La grand-mère :
Yumi, lève-toi ! Il va être 10 heures. Figure-toi que le cheval du voisin s'est encore enfui de son écurie pour venir rôder dans notre jardin.La conteuse :
Yumi se pencha par la fenêtre et vit un vieux cheval gris que l'on entraînait vers la route.La grand-mère :
Tout de même, continua grand-mère, cette fois-ci, il n'a pas piétiné mes fleurs.La conteuse :
Comme s'il avait compris, le cheval se retourna et les regarda de ses gros yeux rougis par l'âge.Yumi :
Ça alors, murmura Yumi, c'est mon bétobéto !
Un conte de Hélène Suzzoni, inspiré d’un conte japonais
Collection CONTES DES QUATRE VENTS, éditions L’Harmattan
Diffusé dans l'émission 7 milliards de voisins : l'école à la radio du 7 avril 2020
Avec la voix d'Eloïse Auria
Mise en ondes et réalisation : Romain Dubrac
Опубликовано 15/04/2020 - Изменено 22/04/2020