
- Transcription
Stéphanie Gee :
Sothearea n'a rien des midinettes de la capitale au look soigné et cheveux teints à l’affût des dernières modes venues de Corée du Sud. Tout chez elle respire la jeune provinciale des couches populaires : sa tenue sans chichi, ses cheveux attachés par un simple élastique, sa timidité.
Elle vient d'un petit village de la région de Kampot, à 150 km de Phnom Penh.
On la rencontre dans un nouveau faubourg populaire comme il en pousse aux quatre coins de la capitale dans un bloc d'habitation sans charme.[Bruit de porte qui s'ouvre]
Derrière la porte de métal, l’œil fait vite le tour de son logement, spartiate, similaire à la multitude d'autres qui s'alignent tristement à chaque étage. Elle s'excuse presque.
Sotheara [avec traduction] :
C'est petit ici, et on y vit à trois. On s'organise. Moi et une autre étudiante on dort de ce côté-ci sur des nattes qu'on étale par terre et mon autre colocataire se place de l'autre côté, avec sa natte.Stéphanie Gee :
Le minuscule studio est alors rempli. Un réchaud à gaz, une bonbonne d'eau, un cuiseur à riz, quelques casseroles et aliments posés à même le sol font office de cuisine dans un coin. Les trois jeunes se partagent le loyer de 40 dollars
Sotheara, elle, veut devenir professeure de chimie, ce qui l'a obligée à venir à Phnom Penh où il lui reste encore trois années d'études.Sotheara [avec traduction] :
J'étais l'une des meilleurs élèves de mon lycée. Mes parents, qui sont agriculteurs, ne veulent pas que je suive leurs pas et que je m'escrime à cultiver la terre comme eux.
Alors comme je réussissais bien dans les études, ils ont décidé de m'offrir cette chance, de pouvoir continuer pour pouvoir faire plus tard un métier moins fatigant. Avant cela, ils m'ont demandé si j'étais d'accord. Ils sont fiers de moi et ils comptent aussi beaucoup sur moi car je suis l'aînée de leurs quatre enfants et je vais à l'université.Stéphanie Gee :
Quand on lui demande comment elle se débrouille au quotidien, elle étouffe avec difficulté des sanglots. Elle se dit déchirée par l'éloignement de ses proches qu'elle ne revoit que rarement au cours de l'année.Sotheara [avec traduction] :
J'étudie toute la journée à l'université, alors je n'ai pas le temps de faire autre chose. Sinon je n'ose pas prendre un travail le soir car je n'ai qu'un vélo pour me déplacer, et j'ai peur pour ma sécurité.
Alors ma famille m'aide. Elle est tout pour moi. C'est dur de vivre loin d'eux.
J'ai de la compassion pour mes parents, ils sont âgés et je sais qu'ils travaillent dur pour financer mes études. Ils se privent énormément pour moi. Je n'ai donc pas le droit d'échouer, ce serait impensable.Stéphanie Gee :
Sotheara redouble d’efforts. Elle met à profit ses vacances pour apprendre l’anglais, et ne se laisse guère distraire. Pas de petit copain, et des sorties entre amis au compte-gouttes. De simples balades dans les endroits prisés par la jeunesse phnompenhoise, comme « Dreamland », une fête foraine permanente qui expose ses manèges au cœur de la ville. Là, elle ne consomme que le déluge de décibels crachés par les haut-parleurs, la seule frivolité qu’elle s’autorise.[musique]
Sotheara [avec traduction] :
Au tout début, j’étais frustrée de voir toutes ces choses que je ne pouvais pas m’acheter. Puis je me suis dit que c’était comme ça, c’était la fatalité.Stéphanie Gee :
Sotheara ne cache pas que sa situation lui est difficile, mais elle refuse de se plaindre. Son regard est tourné vers l'avenir.Sotheara [avec traduction] :
Je reste optimiste. Je décrocherai un bon travail car j'étudie beaucoup.
Quand je commencerai à gagner de l'argent, la première chose que je ferai sera d'aider mes parents. Ensuite, je financerai les études de mes frères et sœurs, puis j'offrirai des cadeaux à mes amis proches et enfin, je penserai à moi.
Je ferais des économies pour pouvoir m'acheter une maison à Phnom Penh.
Mon rêve serait d'emmener en voyage toute ma famille. Ce serait le bonheur : aller visiter ensemble Siem Reap, Mondolkiri, Ratanakiri.
En fait, je voudrais qu'on puisse se rendre dans toutes les provinces du Cambodge.Stéphanie Gee :
Le futur de son pays, elle le regarde aussi avec confiance, glissant être fière d'avoir pu l'an passé voter pour la première fois.Sotheara [avec traduction] :
S'il n'y a pas de guerre, mais la stabilité, alors je crois que le Cambodge peut se développer comme les autres pays. Je rêve que mon pays aille de l'avant qu'il ait de bons dirigeants et que le peuple soit très éduqué. L'éducation c'est vital, c'est ce qui conditionne le progrès d'un pays.Stéphanie Gee :
Dans un pays miné par la corruption, où les élites se partagent les fruits de la croissance, Sotheara, la sage pragmatique veut faire son modeste trou. Un rêve sans paillettes et sans ambition démesurée qu’elle ne pourrait vivre sans sa famille, la pierre angulaire de son courage. Là-bas, dans son village, elle inspire déjà le respect ; celui que l’on porte aux gens éduqués. - Lexique
être à l'affût, se débrouiller, échouer, se plaindre, conditionner