
- Transcription
Extrait de l'émission Décryptage du 23/03/2017
[Jingle]
Présentateur :
Décryptage, Nathalie Amar.Nathalie Amar :
Bonsoir à tous et bienvenus dans Décryptage. Nouveaux horaires pour les Parisiens, comme tous les ans, nos horaires de printemps, pour parler ce soir évasion fiscale. Ces capitaux qui dorment loin des inspecteurs du fisc, qui échappent à l’impôt et qui du coup, manquent souvent cruellement au budget des États.L’Afrique en sait quelque chose, chaque année le continent perdrait 30 à 60 milliards de dollars via la fraude fiscale. Selon l’OCDE [NDLR : Organisation de coopération et de développement économique], les flux financiers illégaux qui s’échappent d’Afrique sont trois fois supérieurs au montant de l’aide au développement qui est perçue dans le même temps.
En Europe, c’est Oxfam qui alerte dans son dernier rapport : les vingt plus grandes banques de l’Union ont déclaré, en 2015, 25 milliards d’euros de bénéfices dans les paradis fiscaux. Elles sont aujourd’hui contraintes à plus de transparence, mais les mauvaises pratiques persistent.
Bonsoir Antoine Dulin.
Antoine Dulin :
Bonsoir.Nathalie Amar :
Merci d’avoir accepté l’invitation de RFI, vous êtes vice-président du Conseil économique social et environnemental, rapporteur d’un avis sur les mécanismes d’évitement fiscal.Alors on va prendre un exemple concret qui est tiré du rapport d’Oxfam pour que chacun comprenne : la Barclays, cinquième plus grande banque d’Europe, 557 millions d’euros de bénéfices déclarés au Luxembourg, 1 million payé au titre de l’impôt sur les bénéfices, soit un taux de 0,2 %. C’est effectivement une façon d’optimiser, si on peut le dire, le, la fiscalité.
Antoine Dulin :
Oui, je rajouterais même sur la question de la Barclays : 42 employés au Luxembourg. Donc, on voit bien là une dynamique de productivité énorme. On déclare 557 millions de bénéfices et en même temps, c’est 42 employés qui sont employés à la Barclays au Luxembourg, donc…Nathalie Amar :
Une rentabilité 348 fois supérieure, je crois, à la moyenne mondiale de la banque.Antoine Dulin :
Voilà.Nathalie Amar :
Au Luxembourg.Antoine Dulin :
Donc là on peut se poser des questions, on peut se dire qu’il y a une forme d’optimisation fiscale agressive de la part de de la Barclays qui est quand même la cinquième banque d’Europe.Nathalie Amar :
Et il y a des artifices qui consistent également à déclarer des pertes sur le marché principal et de gros bénéfices dans les pays où la fiscalité est favorable. Ça tout le monde le fait à peu près ?Antoine Dulin :
Alors, « tout le monde le fait », c’est un jeu qui peuvent se permettre les multinationales aujourd’hui, mais pas forcément les PME et les TPE [NDLR : PME : petites et moyennes entreprises, TPE : très petites entreprises], que ce soit dans, en France ou que ce soit dans les autres pays.Globalement, qu’est-ce qui s’est passé depuis les années 70, 80 ?
Libéralisation des capitaux, libre circulation des capitaux, plus numérisation de l’économie, révolution informationnelle qui permet effectivement de transférer très rapidement, des, des, bah des fonds.
Nathalie Amar :
Des fonds.Antoine Dulin :
Des flux à travers, à travers les pays.Qu’est-ce qu’on voit aujourd’hui ?
60 % du commerce mondial, c’est du commerce intra-groupe. Donc entre groupes, les, c’est des échanges qui ne sont pas aujourd’hui taxés et on peut permettre de déclarer certains bénéfices artificiellement dans des pays alors que la production, la consommation s’est faite dans un autre pays.
C’est ce qui se passe par exemple dans certains cas, et on l’a vu par exemple sur le cas d’Apple en Irlande. C’est un, on voit finalement que, artificiellement, on crée des pertes dans les pays où l’entreprise produit, où l’entreprise vend ses produits et on, et on va créer des bénéfices dans les pays où il y a une fiscalité à bas coût ou privilégiée.
C’est légal, c’est finalement légal dans le sens, aujourd’hui, le système de l’Union européenne, de la réglementation européenne permet ça. Mais est-ce que c’est vraiment moral ?
Le risque, le vrai risque derrière, c’est la perte de la légitimité de l’impôt et d’aller de plus en plus vers une société sans impôt. Or, on sait que l’impôt, c’est quand même la base de notre démocratie.
- Lexique
L’impôt : fiscal / fiscale ; le fisc ; une fraude fiscale ; déclarer ; un paradis fiscal ; optimiser ; taxer ; une fiscalité.
La finance : un capital ; un budget ; un flux financier ; une banque ; un bénéfice ; une perte ; une libéralisation ; l’économie ; un fonds ; le commerce ; la production ; la consommation ; un coût.
L’entreprise : la productivité ; la rentabilité ; une multinationale ; une PME (petite et moyenne entreprise) ; une TPE (très petite entreprise).