
- Transcript
Extrait d’Accents d’Europe du 17 août 2018
Catherine Rolland :
Bonjour à tous. C'est une étude de plus qui pointe du doigt les défaillances de l'école française. Parue le 19 mars dernier, l'enquête de l'OCDE démontre que la France est l'un des pays où la question de l'origine sociale et culturelle pèse le plus sur les résultats scolaires des enfants. Bien que plus motivés que la moyenne des élèves, les enfants d'immigrés réussissent moins bien. Alors pour essayer d'inverser la tendance, en France, un dispositif « ouvrir l'école aux parents » permet depuis 2008 d'accueillir des familles d'origine immigrée pour des cours du soir : 4 heures par semaine où l’on apprend le français mais aussi les arcanes et les subtilités du système scolaire. Frédérique Lebel s'est rendue à l'un de ces ateliers dans une école du 20ème arrondissement de Paris.Frédérique Lebel : [bruits élèves dans une école]
À l'heure où les jeunes élèves de cette école élémentaire quittent l'établissement, ce sont des étudiants d'une toute autre génération qui font leur entrée dans la classe.deux fois par semaine, ces parents qui viennent du Bangladesh, de Thaïlande, du Pérou, du Chili ou encore d'Italie, viennent apprendre, pas seulement le français mais aussi l'école et son fonctionnement. Comment aider leurs enfants dans cet univers qui ne leur est pas familier ? Djena Bouchard, enseignante.
Djena Bouchard :
Beaucoup de parents d'ailleurs à ce cours, quand on fait les espèces de présentation en début de l'année, qu'on raconte un petit peu d'où l’on vient, ils nous disent « Moi, je ne suis pas allé à l'école, moi, je n'ai rien à apporter à l'école, je ne peux pas aider mon enfant. » Et on comprend aussi que les parents du coup ne s'autorisent pas forcément à venir à l'école parce qu’ils ne se sentent pas en capacité d'apporter quoi que ce soit.Or, on leur explique à travers ce dispositif, cet atelier, qu'ils ont tout à fait leur place dans l'éducation de leur enfant, en tant que parents, qu'ils peuvent aider leur enfant, même s'ils ne maîtrisent pas à l'écrit un mot de français, juste en s'intéressant au travail de leur enfant, en ouvrant les cahiers. On leur explique : « Si pour l’instant, vous ne savez pas en français demander : « Comment s'est passée ta journée ? Raconte-moi. » Vous pouvez leur demander aussi dans votre langue mais en tout cas, s'intéresser à sa journée. »
[Dans la classe, Anthony Zoumeglini : « Voilà, il faut bien se souvenir surtout de cette tournure qui commence par "Comment ou est-ce que", hein ? Comment travaille-t-elle ? Comment puis-je l'aider ? »]
Frédérique Lebel :
À ces côtés, Anthony Zoumeglini, lui aussi professeur des écoles, assure le cours de conversation avec le groupe de niveau le plus faible. Des parents migrants qui ont finalement peu de contacts avec des Français.Anthony Zoumeglini :
Ces personnes-là, souvent, ont du mal à avoir des interlocuteurs. Elles vont rencontrer le boulanger à qui on dit "Une baguette s'il vous plaît, 1 euros 10, merci, au revoir". Mais de vrais interlocuteurs avec qui discuter… parce que si on n'a pas un voisin ou une voisine compréhensif ou intéressé… souvent ces personnes me disent « Mais je ne parle avec personne, je ne parle français qu'ici. »[Dans la classe, une mère : « je un poquito difficile pour me parler ! »]
Frédérique Lebel :
Dans le dispositif « Ouvrir l'école aux parents », les cours ont pour but une meilleure intégration des parents à l'école. Tout l'apprentissage a donc toujours une répercussion pratique.Anthony Zoumeglini :
On travaille sur des documents authentiques, c'est-à-dire le cahier de correspondance ou un chéquier ou une carte d'identité, et quand on est sur l'école, on travaille beaucoup sur le cahier de correspondance, le livret scolaire. On apprend à la fois à comprendre ce qui est inscrit dans un livret scolaire, ce que ça représente et on apprend aussi à faire une lettre à « Monsieur le directeur » pour demander à ce que "mon enfant reste à la cantine le jeudi et le vendredi, etc.", à être plus autonome même l'idéal, être complètement autonome pour être en relation avec l’école : le directeur, l'assistante sociale, le médecin et de manière plus large après, avec la mairie, voire la préfecture.[Dans la classe, Anthony Zoumeglini : « Est-ce que vous avez entendu parler des classes de découvertes ? Oui ? les classes de mer, les classes de neige, tout ça, ça ne vous dit rien ? Ou les classes transplantées, ça ne vous dit rien non plus ? »]
Frédérique Lebel :
Les codes de l'école sont pour ces parents aussi déstabilisants que les références culturelles qui ne sont pas les leurs. Les activités extrascolaires et ces fameuses classes de mer peuvent être sources de stress.Anthony Zoumeglini :
On a des parents qui étaient même très très inquiets. Parfois même qui refusaient parce qu'ils ne savaient pas très bien ce dont il retournait. Par crainte en fait, ils refusaient le départ des enfants. Ils ne savaient pas exactement quel jour les enfants devaient partir ou allaient revenir. Il y a des situations très très difficiles avec une angoisse chez certains parents extrêmement forte.[Dans la classe, Djena Bouchard : « Ca va, Jiffa, vous vous en sortez ? C’est difficile ? Alors regardez Jiffa… »]
Frédérique Lebel :
Les bénéfices en termes de résultats scolaires pour les enfants sont difficiles à chiffrer mais pour Djena Bouchard l’implication des parents déteint aussi sur leurs enfants et donc leur travail.Djena Bouchard :
Quand on voit des mamans qui apprennent. Alors, on a une maman qui apprend à écrire et à lire, bah forcément, pour son enfant qui est dans ma classe c’est une grande fierté et c'est aussi « Bah du coup maintenant, je vais pouvoir aider ma mère.» C'est aussi « Je me mets dans une posture de : bah, à la maison c'est pas forcément maman qui m'aide à faire mes devoirs, c'est aussi moi qui vais l'aider aussi à apprendre grâce à tout ce que j'ai appris en classe. » Ça c'est assez formidable de voir que... c'était un petit garçon notamment qui avait des difficultés l'année dernière en CP et qui en CE1, bah voilà, au fur et à mesure de son travail, de ses efforts et de la confiance qu'il a acquise aussi, est dans une posture maintenant aussi de « Je sais. Je sais des choses et je peux les apprendre aux autres. Donc, que ce soit aux autres élèves de ma classe et aussi à ma famille. »Un père, Cheikh :
Mon nom, c’est Cheikh et je viens du Bangladesh. J’ai deux enfants. Premier il est 7 ans, le deuxième, c’est 5 ans.Frédérique Lebel :
Vous voulez un diplôme ?Cheikh :
Oui, très important aussi pour travail parce que je ne parle pas bien français. Avec collègues, il est très difficile aussi.[Dans la classe, Djena Bouchard : « Il y a un gros écart entre le A1 et le A2, vous avez vu ? C’est beaucoup plus difficile le A2. »)
Frédérique Lebel :
Dans ce cours du lundi soir, on ne maîtrise pas encore vraiment bien le français oral tout autant qu'écrit mais là n'est pas tout à fait l'essentiel, Djena Bouchard.Djena Bouchard :
On a vu l'année dernière, sur 10 parents qui organisaient la fête de l'école, on avait 7 parents qui venaient du cours de français. Donc c'est formidable parce que du coup ça veut dire que chaque parent, quel que soit son niveau de langue a confiance en l'école et a sa place à l'école.[Dans la classe, Djena Bouchard : »Au revoir », « Bonne soirée, tout le monde ! À mardi pour certains ! À demain pour certains, à jeudi pour d’autres ! », « Merci ! »)
Catherine Rolland :
Le reportage de Frédérique Lebel à l'école des parents.