Rendez-vous culture du 2 septembre 2021

Raphaël Thomas :
Le principal décor de ce film est une école rurale. À l’intérieur, une centaine d’enfants en uniformes verts enchainent cours d’anglais et leçons de mathématiques. Au premier rang, à chaque fois, il y a Gogo. L’écolière de CM2 sort du lot. En effet, elle a 94 ans. C’est par un article de la presse locale kényane que le réalisateur Pascal Plisson découvre l’existence de cette femme hors du commun. Comme toutes les petites filles de la campagne nées à l’époque coloniale, elle a été interdite de scolarisation. Des décennies plus tard, le monde a bien changé mais pas suffisamment pour Gogo.

Pascal Plisson :
Quand elle s’est rendue compte que ses propres arrière-petites-filles n’allaient pas à l’école, qu’elles ne souhaitaient pas y aller ou que leurs parents ne les mettaient pas à l’école, ça l’a rendue folle. Parce qu’elle a toujours rêvé d’aller à l’école et de pouvoir lire la Constitution. Elle s’est dit « Puisque c’est comme ça, moi je vais à l’école avec vous. » Donc, elle est partie avec six arrière-petites-filles. Au début, personne ne voulait d’elle parce que tout le monde la trouvait trop vieille. Et puis, elle est tombée sur un directeur d’école, Samy, qui a compris le message de Gogo et qui, en fait, l’a accueillie et a sponsorisé ses études pendant quatre années.

Raphaël Thomas :
Quatre années passées à apprendre à lire et à écrire avec deux objectifs en tête, passer en classe de sixième et diffuser un message : l’éducation, c’est essentiel.

Pascal Plisson :
L’éducation pour Gogo, c’est avant tout de pouvoir se défendre et défendre ses droits. Et c’est étonnant parce que cette femme-là qui n’est pas allée à l’école est d’une intelligence incroyable.

Raphaël Thomas :
Dans ce pays d’Afrique de l’Est, l’enseignement dans les écoles publiques est gratuit et obligatoire depuis 2003 mais sur le terrain, en zone rurale, la réalité est bien différente. Trop de parents ne scolarisent pas leurs filles et les jeunes mères sont contraintes d’abandonner l’école mais Gogo espère que son exemple pourra changer les choses. Elle peut déjà se féliciter de quelques victoires.

Pascal Plisson :
Il y a plus de 300 ou 400 jeunes filles qui sont rentrées à l’école grâce à elle, uniquement dans sa région. Et maintenant, son histoire commence à faire le tour du Kenya. Gogo est devenu un exemple maintenant, dans tout le Kenya, de motivation pour les jeunes filles d’aller à l’école.

Raphaël Thomas:
Pascal Plisson signe un documentaire émouvant, engagé, parfois drôle mais surtout immersif car débarrassé de toute voix-off superflue.

Pascal Plisson :
Je n’ai pas forcément envie d’imprégner un point de vue occidental. Et je préfère, en fait, que les mots viennent de mes personnages. Et je trouve que c’est tellement plus riche comme ça.

Raphaël Thomas:
L’expérience scolaire de Gogo s’est arrêtée avec la fermeture des écoles à cause de la pandémie. Aujourd’hui âgée de 97 ans, elle continue d’œuvrer pour sa communauté. La nonagénaire a ouvert un dispensaire pour garantir l’accès aux soins médicaux à toutes les femmes.