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Extrait de C’est pas du vent du 24 septembre 2017.
La journaliste (Anne-Cécile Bras) :
581 romans et recueils de nouvelles, tel est le volume de la rentrée littéraire 2017. Derrière chaque livre, il y a bien sûr une création artistique mais aussi, et cela personne n'en parle, un bilan social et environnemental de plus en plus désastreux surtout que cette année la mode est aux gros livres. 700 à 1000 pages. Le journal Le Monde signe un article : « Le pavé, tendance lourde ? » sans s'inquiéter un seul instant d'ailleurs des conséquences de cette industrie. Heureusement que les équipes du B.A.S.I.C, le bureau d'analyse sociétale pour une information citoyenne, sont là pour nous alerter.Bonjour Marion Muller et Christophe Alliot.
Marion Muller et Christophe Alliot :
Bonjour.La journaliste :
Alors, vous venez de publier une étude justement sur les coulisses de l'édition et les conclusions, Christophe Alliot, sont surprenantes puisque vous dites que derrière chaque euro de bénéfice pour l'éditeur, il existe un coût caché social et environnemental de 75 centimes. Alors expliquez-nous comment c'est possible ?Christophe Alliot :
Alors, comment c'est possible d'abord c'est ce coût social et environnemental, c'est quoi ? C'est des dépenses publiques que différents pays, à commencer par la France, prennent en charge pour supporter ou pour lutter contre des conséquences négatives de comment la filière fonctionne en démarrant [à] l'exploitation forestière jusqu'à l’achat et au recyclage des livres. Grosso modo, ces coûts sociétaux, ça correspond à quoi ? Si vous avez une usine au Brésil, on va dire au hasard, qui va rejeter des polluants dans l'eau, pas complètement les filtrer et bien vous avez après un coût de dépollution en aval pour rendre l'eau potable et ça c'est à la charge des citoyens des villes qui doivent essayer de s'approvisionner. C'est typiquement ce genre de dépenses. Et du coup, on a mesuré qu'il y avait la moitié des coûts sociétaux sur tout l'amont de la filière c'est-à-dire toute la fabrication du papier et l'autre moitié, et jusqu'à l'impression, l’autre moitié sur tout l'aval.La journaliste :
Alors, l'aval, c'est-à-dire ?Christophe Alliot :
Alors, l'aval c'est-à-dire, c'est la chaîne du livre. Ça démarre à l'impression, et ça va jusque...ça passe par l'édition, la distribution des livres jusqu'aux points de vente, les achats et puis la partie du recyclage. Alors à quoi ça correspond ? Pour la moitié, c'est des coûts environnementaux, ce sont des dépenses de lutte contre les différentes pollutions, contre la surconsommation d'eau par le secteur, le changement climatique qui est associé... alors, c'est pas pour dire que le secteur, notamment du papier, n'a pas fait beaucoup de travail, il y a eu des efforts de faits. Simplement aujourd'hui, ça ne prend pas tout en charge en France et quand on est sur des pays étrangers comme le Brésil, pour le coup, là les dépenses sont vraiment remises sur la société. Et après, il ne faut pas oublier la partie sociale, la partie sociale qui était importante aussi tout le long de la chaîne : ce sont des sous-rémunérations, notamment justement sur des pays comme le Brésil ; c'est aussi beaucoup de chômage puisque le secteur du papier, le secteur de l'imprimerie, le secteur de la distribution et des points de vente sont des secteurs qui détruisent beaucoup d'emploi. Ça veut dire un coût du chômage qui est à la charge de la société et puis on ne le sait pas toujours mais beaucoup de subventions publiques dans les différents pays, à commencer par la France, pour essayer de lutter contre cette disparition des emplois, maintenir la compétitivité, essayer de sauver ce qui peut l'être.La journaliste :
Eh bien voilà un tableau noir bien dressé. Marion Muller, le livre est un objet de consommation de masse et on observe une vraie concentration du secteur qui explique notamment cette situation.Marion Muller :
Tout à fait, on est aujourd'hui sur un secteur du livre français très concentré avec 3 grands groupes qui font plus de 50% du chiffre d'affaires. Cette concentration est d'autant moins visible depuis l'extérieur puisqu'on a une diversité encore des noms des maisons d'édition mais derrière on a bien 3 grands groupes que sont Hachette, Editis et Madrigal qui font plus de 50%, encore une fois, du chiffre d'affaires. Cette concentration est historique et a connu tout un développement depuis le début du XXe siècle mais s'est accélérée dans les années 80 à partir du moment où les grandes maisons d'édition ont été intégrées et rachetées par des grands groupes mondialisés. Et là, je pense notamment à la première qu'est Hachette qui a été racheté par le groupe Lagardère.La journaliste :
Et c'est à partir de là que le bilan environnemental et social du monde de l'édition finalement s'est détérioré ?Marion Muller :
Alors, on ne peut pas faire forcément une corrélation directe. Ce qu'on sait et ce qui nous a été rapporté, que ce soit de la bibliographie qu'on a utilisée pour le rapport ou même des acteurs du secteur du monde de l'édition justement, c'est bien que ça a changé, ça a bouleversé quelque chose à l'intérieur du secteur de l'édition française. C'est déjà Bourdieu qui le posait dans les années 90 et qui expliquait la rentrée finalement du marketing, du management dans les maisons d'édition françaises qui étaient jusque-là assez préservées par ces enjeux. Donc Bourdieu le posait déjà dans les années 90, ça a été répété par plusieurs autres auteurs tout au long des années 2000 et aujourd'hui, on arrive à un constat où oui, on a des maisons d'édition qui sont très imprégnées par cette dimension rentable du livre ; où on va avoir une réflexion beaucoup plus en termes économiques, financiers, que ce soit sur le livre, l'impression ou le papier.