Faux débat et infox : construire une argumentation

Extrait d’Une semaine d’actualité du 26 novembre 2021

Pierre-Édouard Deldique :
Alors, parlons du débat, Didier Pourquery, il vous semble menacé aujourd'hui en France en tous cas ?

Didier Pourquery, journaliste, auteur de Sauvons le débat, osons la nuance :
Oui, parce que, ce qu'on appelle débat, si vous voulez, c'est ce qu'on voit sur les plateaux de, les plateaux de chaînes d'information continue. C'est un système très au point, c'est un système dans lequel on montre du fight, comme on dit...

Pierre-Édouard Deldique :
… du combat.

Didier Pourquery :
… du combat, du catch et où on joue sur l'émotion plus que l'information, l'émotion. Et ensuite, les petits extraits de ce qu'on a vu sur ces plateaux tournent sur les réseaux sociaux. Comme sur les réseaux sociaux, l'émotion crée de l'attention et l'attention, on peut la vendre parce que ça s'appelle de l'audience et donc c'est un système assez bien régulé qui fait que c'est presque un marché, quoi. Le marché de l'attention devient un marché du débat et de l'émotion.

Or, le débat est essentiel pour la démocratie. C'est avec ça qu'on fabrique du dialogue et du dialogue constructif. Si on amuse les citoyens avec des faux débats, pendant ce temps-là se prennent des décisions sur lesquelles le citoyen n'a que peu d'informations.

[Virgule]

Pierre-Édouard Deldique :
Il nous faut parler du COVID, mais tout est lié en fait, hein. Il y en a eu des débats sur le COVID avec des « spécialistes » entre guillemets. Vous voulez dire un mot sur cette...

Didier Pourquery :
Oui, en fait, pendant les deux premières vagues, il y avait un énorme besoin d'information et au lieu de fabriquer de l'information, beaucoup de chaînes en continu ont organisé des débats. Qui n'en était pas parce qu'il n’y avait pas à débattre là-dessus, il y avait juste à...

Pierre-Édouard Deldique :
… à constater.

Didier Pourquery :
… et à analyser. Or, la place de l'analyse a été réduite à portion congrue et surtout la place de la pédagogie. Ce qui fait que beaucoup de Français ont eu l'impression de s'informer en regardant ces faux débats dont nous parlions à l’instant. Et là, ils se sont fait raconter n'importe quoi et là, on atteint les limites de ce genre d'exercice. Parce que quand vous avez sur un plateau un certain nombre de gens qui commencent leurs phrases en disant « Je ne suis pas médecin mais... »

Pierre-Édouard Deldique :
C'est très courant, effectivement.

Didier Pourquery :
C'est très courant et là, vous avez…, c'est la porte ouverte à des bouts d’infos collées à deux ou trois opinions qui vont faire une sorte de discours sur lequel si on est un « bon client » comme le disent les télévisions, on va mettre le ton et l'énergie qu’il convient et on va faire passer ce qu'on peut appeler de l’infox. 

Pierre-Édouard Deldique :
La question que vous traitez dans le livre, une des questions que pose le « débat » aujourd'hui, « débat » entre guillemets, c'est que chacun veut exprimer une opinion. Et vous citez Montaigne qui, je crois que c'est Montaigne, qui dit « n'a d'opinion que celui qui n'a rien approfondi ». C'est le problème, le débat est souvent une confrontation sans échange d'opinions différentes.

Didier Pourquery :
Oui et l'idée, souvent, qui est vendue avec ces « pseudo débats », c'est de dire « faites-vous votre opinion à partir de celle des autres ». C'est déjà une tautologie parce que c'est toujours comme ça que les gens se font une opinion. Je veux dire, Roland Barthes, dans une interview que je trouve géniale, que je cite évidemment dans mon livre, Roland Barthes, à qui tout le monde posait des questions : « quelle est votre opinion sur… ? quelle est votre opinion sur… ? » Vous savez, ce qu'on fait en général aux intellectuels, dit : « Il y a beaucoup de sujets sur lequel j'ai pas envie de répondre. Je suis sans opinion. »

« Parce que », dit-il, « mon travail, c'est de penser, c'est de réfléchir, c'est d'approfondir », mais l'opinion, la plupart du temps, c'est assez léger quoi, et c'est pas une manière d'aller au fond des choses.