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Extrait de La Puce à l'oreille se fait une toile du 26 mai 2020
Pascal Paradou :
Bonjour Lucie !Lucie Bouteloup :
Bonjour Pascal !Pascal Paradou :
Vous avez kiffé pour un film qui parle comme on cause dans les banlieues.Lucie Bouteloup :
Oui, cette semaine, j’ai à nouveau choisi un film qui témoigne à la fois d’une époque et d’une géographie bien spécifiques avec ses codes et sa façon de parler. C’est L’Esquive, d’Abdellatif Kechiche, sorti en 2003. On écoute un premier extrait. Ici, il est question d’une robe.[Extrait du film L’Esquive]
- Alors, elle est belle ou pas ?
- Elle est chanmé !
- Nan, mais sérieusement ?
- Elle est super belle ! Elle est kiffante !
- Wallah, ça fait plaisir, merci !
- Ah, on dirait Miss France !
- Franchement, elle est trop belle !
- 60 euros, la putain de sa mère !
- Quoi !
- Ouais, j’ai craché la monnaie, frère.
- Ah, l’enculé !
- Ben oui, j’avais l’seum…
- C’est pas grave, t’en bats les couilles. Au moins, elle est belle, il t’a pas carotte.
Lucie Bouteloup :
Alors, cette robe, c’est le costume que Lydia, l’un des personnages principaux du film, doit porter pour son spectacle de théâtre de fin d’année au collège. Une robe qu’elle vient de montrer à sa copine, très XVIIIème, tout en corset et en jupons, parce que la pièce en question, eh bien, c’est la pièce la plus célèbre de Marivaux : Les Jeux de l’amour et du hasard. Alors, le film, il met en scène les amours contrariés de deux jeunes adolescents de banlieue : Albdelkrim, dit « Krimo », un ado introverti, et Lydia, qu’on entendait à l’instant, une belle blonde piquante qui le fait languir. Et Kechiche, eh bien, dans L’Esquive, il nous raconte justement comment Krimo va tenter de séduire Lydia, en décrochant un rôle auprès d’elle dans la pièce de Marivaux.Pascal Paradou :
Mais dans l’extrait que nous avons entendu, je ne retrouve pas la délicatesse classique de Marivaux, Lucie ?Lucie Bouteloup :
Oui, c’est vrai, cette façon de parler, on commence à l’entendre dans le cinéma au milieu des années 1980 avec des films d’un nouveau genre, des films dits « de banlieue ». Et celui qui ouvre la voie, c’est Un thé au harem d’Archimède, en 1985. Mais, à l’époque, on est très loin de la façon de parler qu’on peut entendre dans les cités aujourd’hui. Il y a de l’argot, c’est vrai, mais l’accent n’est pas le même, et puis, on sent un tout petit peu moins de violence. Non, le film qui va vraiment faire connaitre au grand public la vie de la banlieue et ce phrasé si typique, c’est La Haine, de Matthieu Kassowitz, en 1995. Et, à l’époque, c’est une véritable claque.Pascal Paradou :
Alors, c’est vrai que depuis, il y a eu beaucoup de films qui se sont déroulés dans les banlieues, avec ce parler un eu particulier, notamment Les Misérables de Ladj Ly, il y a encore quelques mois. Mais, dansL’Esquive, il y a une autre approche de la banlieue, et c’est vraiment la langue qui le cœur du film.Lucie Bouteloup :
Oui, c’est un peu comme si Kechiche zoomait sur cette langue si spécifique, une langue avec des mots qui claquent comme des coups de poings, y'a du verlan, y'a de l’argot, y'a aussi beaucoup de mots empruntés à l’arabe et aux autres communautés qui cohabitent dans les périphéries. Et puis, y'a ce flow, cette rythmique très rapide, avec des acteurs qui se renvoient la balle avec une aisance absolument désarmante. En fait, on est dans la joute oratoire. Et, à vrai dire, même si parfois on ne comprend pas tout, si on peut même être choqué parfois par la violence des propos, eh bien, on n’a pas envie d’en perdre une miette. - معجم
La langue : causer ; un code ; classique ; le verlan ; un argot ; emprunté/empruntée ; une rythmique ; une joute oratoire ; un propos ; un marqueur social.
Le théâtre et le cinéma : un costume ; un personnage principal ; un spectacle ; une pièce ; mettre en scène ; décrocher un rôle ; un acteur/une actrice ;
Le français des banlieues : kiffer ; chanmé ; kiffant/kiffante ; putain ! [insulte] ; cracher la monnaie ; enculé ! [insulte] ; avoir le seum ; s'en battre les couilles ; carotter.